En plus de nous faire découvrir les stupéfiantes théories du Dr Money et l'extraordinaire force de caractère d'un enfant pas comme les autres, Bruce, Brenda et David invite naturellement à penser la question, brûlante d'actualité, du genre et du sexe, tout en offrant une grande leçon d'humanité.
Une histoire absolument incroyable et pourtant vraie qui met en lumière les différentes études sur le sexe et le genre aux Etats-Unis ces cinquante dernières années.
En fil rouge, le terrible accident de circoncision du petit Bruce Reimer, 9 mois, qui conduira ses parents, sous la coupe du Docteur Money, à décider de changer son sexe pour celui d'une fille. En effet, John Money cherche à l'époque à démontrer que le genre est acquis, que l'on peut faire de n'importe quel nourrisson une fille ou un garçon, indépendamment de son sexe biologique. Le cas de Bruce Reimer est une aubaine, d'autant plus qu'il a un frère jumeau, qui sert alors de témoin zéro pour l'étude. Pendant dix ans, le docteur Money présente le cas des jumeaux comme un exemple de sa théorie en avançant que Bruce, devenu Brenda, est une petite fille heureuse et typiquement dans son rôle. Mais la réalité est toute autre. Brenda vit un calvaire, se sentant étrangère dans son propre corps. La famille en pâtit également, les parents rongés par la culpabilité devant leur enfant si malheureux et le frère passé au second plan tant les problèmes de sa soeur occupent le temps de toute la famille. Il faudra quatorze ans pour que Brenda apprenne la vérité sur son accident et décide de retrouver sa vie de garçon.
Quittant le Docteur Money pour suivre les conseils du Docteur Milton Diamond, la famille essayera de recoller les morceaux d'une enfance et d'une adolescence particulièrement difficile. Ce dernier considère qu'il y a une forte présence d'innée dans la question de genre, même si elle n'est pas tout:
Diamond écrivit que le cas de David prouvait que l'identité de genre et l'orientation sexuelle sont en grande partie innées, résultat d'une exposition hormonale in utero et d'autres influences génétiques sur le cerveau et le système nerveux, qui définissent les limites de la malléabilité transgenre dont un individu peut faire preuve. Diamond soutenait que si l'éducation permet bien de jouer sur le degré de masculinité ou de féminité d'un individu, la nature est de loin la plus décisive des deux forces dans la formation de l'identité de genre d'une personne.Ceci est une donnée de base qu'il nuance à propos des transgenres ou intersexués. La science se pose encore la question d'une source génétique ou non pour l'homosexualité, par exemple. Selon lui, le comportement de Brenda était dicté par sa nature, bien plus profondément ancrée en elle que l'éducation qu'elle a pu avoir. Une amie de Brenda témoigne ainsi:
Cependant, Heather n'était pas aveugle et remarquait bien ce qu'elle appelle la "bizarrerie" de son amie. "A ce que j'en savais, Brenda était une fille, physiquement, explique-t-elle. Mais dans ses gestes et ses paroles, elle disait qu'elle ne voulait pas en être une. Les autres filles du groupe rivalisaient avec les garçons; nous voulions prouver que nous étions capables d'en faire autant qu'eux. Nous voulions leur montrer. On se disputait avec eux, mais nous ne serions pas allées jusqu'à la bagarre. Je n'avais pas envie d'avoir un bleu sur le visage, par exemple. Brenda, elle, se battait avec les garçons. Brenda n'avait pas peur de prendre des bleus." Heather s'interrompt et réfléchit un instant. "J'étais un garçon manqué, mais je n'ai jamais eu envie d'être un garçon. Brenda, si", conclut-elle.John Colapinto livre ici une analyse très fine de ces deux éléments, le sexe et le genre, et émaille son récit de nombreuses références et études menées tout au long des années. Il retrace également les divers mouvements transgenres et intersexués de l'époque et le mur scientifique qu'ils rencontrent. Ce livre est à la fois un témoignage et un document complet sur les recherches et découvertes scientifiques entre 1950 et 2000 particulièrement intéressant.
Je laisse le dernier mot à David:
Tu sais, si j'avais perdu mes bras et mes jambes et que je m'étais retrouvé dans un de ces fauteuils roulants où tu fais tout bouger avec une petite tige dans ta bouche, est-ce que je ne serais pas une personne malgré tout? C'est comme si on sous-entendait que tu n'es rien si ton pénis n'est plus là. Si tu le perds, tu n'es rien, alors on doit t'opérer et te donner des hormones pour faire de toi quelque chose. Comme si tu n'étais qu'un zéro. C'est comme si tout ta personnalité, tout ce que tu es, était concentré dans ce qu'il y a entre les jambes. Et pour moi, quand on croit ça, c'est qu'on n'a rien compris. Je n'ai pas fait d'études comme ces scientifiques, ces médecins et ses psychologues, mais pour moi, c'est qu'on n'a rien compris. Si une femme perd ses seins, est-ce qu'on la change en mec? Pour qu'elle se sente "vraiment entière"?
Bruce, Brenda et David de John Colapinto, traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Elsa Maggion, Editions Denoël. Paru le 30 octobre 2014.
Livre offert.
1 commentaire:
Mon avis est très similaire au tiens ! :) Ce livre a été une bonne découverte.
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